Que retenir de l'Arctic Week qui s'est déroulée à paris du 9 au 13 décembre 2019 ?
Voici les leçons de l’Arctic Week 2019 ayant eu lieu du 9 au 13 decembre dernier au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères après une préparation de plus de 7 mois.
Ségolène Royal a présidé l’Arctic Week 2019 du 9 au 13 décembre dernier au Centre de Conférences du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
L'évènement a été coorganisé par Ségolène Royal et Alexandra Lavrillier, du laboratoire CEARC de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), et en lien avec de nombreux partenaires, dont l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (IPEV).
661 personnes sur cinq jours, principalement des chercheurs en sciences humaines, sociales et environnementales, représentants de peuples autochtones et étudiants internationaux issus de seize pays y ont participé, ainsi que les représentants de plusieurs institutions de premier plan. Plus de 200 réponses à l’appel à contributions ont été reçues, permettant une densité inédite des travaux.
L’importance de la collaboration entre sciences et savoirs autochtones a été démontrée, en particulier dans un contexte de changements climatiques, environnementaux et sociaux rapides en régions arctiques, dont le réchauffement est deux à trois fois plus rapide.
L'Arctique abrite environ quatre millions de personnes et pas moins de 40 communautés autochtones. Les collectivités de l'Arctique s'adaptent, mais le rythme des changements pose des défis sans précédent, même pour les peuples autochtones du Nord qui ont survécu aux changements dans la région au cours de nombreux siècles. Depuis les années 1980, la planète s’est réchauffée en moyenne de plus 0,85°C.
L’augmentation aux pôles est déjà de l’ordre de 2,5°C. La voix a donc été donnée à ceux qui sont les premiers concernés, ceux qui font face aux changements environnementaux, aux changements climatiques et à des changements dans leurs modes de vie.
Plusieurs populations autochtones ont été représentées : Nenets, Evenques, Sâmes, Inuit, Innus, Iakoutes et Gwich’ins. Leurs interventions ont été particulièrement fortes et émouvantes.
Ségolène Royal atteste que l'Accord de Paris a fait place aux droits des peuples autochtones et démontré le rôle qu’ils ont à jouer, comme l’avait marqué le sommet des peuples autochtones en décembre 2015.
Dans le cadre de l’Accord de Paris, a été soulignée la pertinence des savoirs autochtones et la nécessité de les mobiliser dans les politiques et les actions d’adaptation. L’article 7 reconnait d’ailleurs que « l'action pour l'adaptation devrait tenir compte et s'inspirer des meilleures données scientifiques disponibles et, selon qu'il convient, des connaissances traditionnelles, du savoir des peuples autochtones et des systèmes de connaissances locaux ».
Donc ce symposium s’est inscrit dans le cadre de l’application de l’article 7 et contribue à lui donner de la force. L’expertise et la coopération scientifiques sont, de ce point de vue, remarquables.
Malgré les conditions de transport particulièrement difficiles, et alors que de nombreux évènements n’ont pas été maintenu, pendant une semaine, chaque jour, plus d'une centaine de personnes ont assisté à la conférence.
Cela montre l'intérêt croissant pour l'Arctique, mais aussi le caractère unique de cette semaine qui était organisée pour la première fois au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et sous le haut patronage du Ministre.
Et ce quelques mois seulement après la publication du rapport spécial du GIEC sur l’Océan et la Cryosphère, et alors que la COP25 se tenait à Madrid.
Seize pays ont été représentés durant cette semaine: la France, la Russie, le Royaume-Uni, la Finlande, la Norvège, la Suède, le Danemark, le Groenland, la Belgique, le Canada, les États-Unis, l’Allemagne, l’Islande, la Suisse, l’Italie et le Luxembourg.
En ouverture et en conclusion, Ségolène Royal a tracé l’état des lieux et les perspectives. Pour la France, l’intérêt pour l’Arctique est ancien.
La France a une longue histoire de recherche polaire, avec des explorateurs et des scientifiques célèbres comme Jules Dumont-d'Urville, Jean-Baptiste Charcot, Paul-Emile Victor ou Jean Malaurie.
La France, qui a été le premier pays à ouvrir une base de recherche dans l'archipel du Svalbard en 1963, a une longue tradition dans la recherche scientifique arctique, notamment en anthropologie et en ethnographie.
La France est d’ailleurs au sixième rang pour les publications scientifiques polaires et au deuxième rang pour les citations scientifiques.
La force de la recherche polaire française s’est manifestée dès l’ouverture, lors de laquelle Ségolène Royal a donné successivement la parole à plusieurs invités :
- Henri de Lumley (Président de l’Institut de Paléontologie Humaine, Monaco) a présenté ces travaux passionnants sur les gravures rupestres de Kanozero (Russie), et ce dont elles recèlent pour connaître les populations anciennes de Sibérie.
- Yvon Le Maho (Académie des Sciences) sur les innovations biomédicales basées sur la biodiversité polaire, montrant que « Chaque animal est une innovation ».
- Jean-Louis Etienne (Explorateur) sur l’attirance des pôles, a énuméré les convoitises et les enjeux autour de l’ouverture des eaux arctiques au commerce international.
- Jean Malaurie (EHESS, texte lu par Jan Borm) sur l’avenir de l’Arctique, a particulièrement appelé à la protection des peuples à tout prix.
Ainsi que d’invités internationaux
- Terry V. Callaghan (G-B) (auteur principal « régions polaires » du rapport du GIEC 2007) a appelé à un changement de paradigme : ne pas faire de l’Arctique un laboratoire du changement climatique pour les latitudes tempérées, mais travailler en collaboration avec les populations autochtones.
- Outi Snellman (Fin.) (Vice-Présidente de l’Université de l’Arctique) a souligné l’importance de la collaboration en Arctique, notamment dans le domaine de l’éducation et de la recherche
- Anders Oskal (Nor.) (Secrétaire génénral de l’Association of World Reindeer Herders) a appelé à arrêter de prétendre que nous avons des systèmes de connaissance parfaits, mais de lier les différents systèmes de connaissances (autochtones et scientifiques).
À noter spécifiquement que l’Ambassadeur de France en Islande, Graham Paul a proposé une intervention en ouverture de la deuxième journée, présentant le programme de la présidence islandaise (2019-2021) du Conseil de l’Arctique, dont vous trouverez l’intégralité en fichier joint.
Ont également été représentées lors de la cérémonie d’ouverture de nombreuses institutions françaises et internationales de premier plan par les voix de : Valery L. Mikheev (Ru.) (Recteur de la Russian State Hydrometeorological University), Sylvie Retailleau (Présidente de l’Université Paris-Saclay), Chantal Claud (Directrice de l’Observatoire Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, OVSQ), Cyril Moulin (Directeur-Adjoint de l’INSU-CNRS), Jérôme Fort (INEE-CNRS), Henrik Harboe (Nor.) (Adjoint à l’Ambassadrice de Norvège), Emmanuèle Gautier (Directrice du GDR2012 Arctique : Environnement et Société), Philippe Keckhut (Directeur du LATMOS), Jean-François Huchet (Président de l’INALCO), Emmanuelle Sultan (MNHN, CNFRA) et Ann Andreasen (Groe.) (Directrice de l’Uummannaq Polar Institute).
En réunissant des chercheurs, des chercheurs et représentants de peuples autochtones, Ségolène Royal a voulu démontrer que la recherche en Arctique doit se faire pour et avec les populations locales. La recherche arctique, en particulier française, est pionnière dans ce domaine. Notons le discours puissant du Chef Innu Réal McKenzie: "Nous, les peuples autochtones, nous sommes près de 300 millions, et le monde nous appartient, à nous aussi".
De nombreuses thématiques ont été abordées, et en particulier :
- La collaboration entre sciences et savoirs autochtones, qui est particulièrement pionnière en Arctique, a été l’objet de nombreux échanges entres scientifiques et représentants autochtones, soulignant ainsi leur complémentarité.
- Les écosystèmes du pergélisol, dont un état des connaissances actuelles et celles restant à développer a été dressé. Le dégel du pergélisol revêtant de nombreuses implications, de la libération de méthane dans l’atmosphère à la fragilisation des infrastructures.
- La session sur les aléas naturels et les impacts humains a montré que la nécessité de prendre en compte dans les travaux de recherche les conséquences locales des changements climatiques et environnementales, et non pas seulement celles globales.
- Des discussions sur les droits des peuples autochtones, en particulier sâmes et inuit, ont permis de mettre en exergue les mécanismes de participation des peuples autochtones (p. ex. au sein du Conseil de l’Arctique), ainsi que de mener une comparaison des législations locales.
- La revitalisation des pratiques et des croyances traditionnelles relatives au territoire a été affirmée comme l’une des clés pour la survie des modes de vie et des cultures traditionnelles. Non uniquement comme un élément de folklore ou de mise en valeur touristique, mais un élément de l’identité des futures générations dans un contexte mondialisé.
- Un état des connaissances scientifiques sur le système terrestre et les changements climatiques en Arctique a été réalisé, montrant l’ampleur et la rapidité de ces changements en Arctique.
Les droits des peuples autochtones dans le contexte de l’énergie, du climat et des injustices environnementales ont été l’objet d’échange particulièrement stimulant, montrant que la transition énergétique est une question centrale de justice, en particulier vis-à-vis de populations historiquement marginalisées. - La table ronde sur l’élevage de rennes et les savoirs traditionnels a démontré comment les éleveurs de rennes, en particulier sâmes et évenques, possédaient des connaissances approfondies de leur environnement et des rapports interspécistes.
- La table ronde sur l’élevage de rennes et le développement durable a souligné le mode de gestion de l’environnement qui sous-tend cette pratique, en particulier les indicateurs écologiques permettant de garantir sa soutenabilité.
- Le développement des ressources extractives et la durabilité des communautés arctiques ont permis de souligner les contradictions entre énergies fossiles et intégration des populations autochtones dans les industries.
- Des expériences de recherches participantes dans le domaine de l’éducation et de la jeunesse ont été présentées, ainsi que la nécessité de prendre en compte les connaissances traditionnelles dans les systèmes d’enseignement.
- Lors de la session sur les savoirs autochtones sur les changements climatiques et de la biodiversité a notamment été soulignée la pertinence de ces savoirs pour mettre en place des régulations environnementales et les insuffisances des régulations environnementales basées sur les sciences écologiques qui ont souvent pour conséquences de créer des injustices vis-à-vis des peuples autochtones.
- Les pratiques d’adaptation au changement climatique ont été mises en avant, notamment par Lisa Koperqaluk (vice-présidente de l’Inuit Circumpolar Council, Canada), montrant que l’adaptation est déjà une réalité en Arctique où les anomalies de températures ou d’enneigement sont d‘ores et déjà observées.
- La session sur les perspectives de soutenabilité en Arctique a permis des réflexions sur les façons d’habiter les territoires arctiques et sur le développement technologique dans le Nord.
- Des évènements culturels et des représentations autochtones sibériennes (danses chamaniques), sâmes (joik) et groenlandaises chants et drum dance) ont également eu lieu tout au long de la semaine.
Ségolène Royal remercie chaleureusement Alexandra Lavrillier et toutes les personnes, en particulier le comité de pilotage et les étudiants du programme Arctique de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui ont contribué à rendre cette conférence possible. Ainsi que les représentants des peuples autochtones qui sont venus de loin pour assister à cette semaine.
Comité de pilotage : Alexandra Lavrillier (CEARC-UVSQ), Jean-Michel Huctin (CEARC-UVSQ), Jan Borm (CEARC-UVSQ), Patrick Schembri (CEARC-UVSQ), Dominique Samson (INALCO), Denis Mercier, V. Antomarchi, F. Costard (GDR AREES), Jeanne Gerhardi (LSCE) et Cristophe Grenier (LSCE).
Comité scientifique : Claire Alix (CNRS/Université Paris 1, France), Terry V. Callaghan CMG (University of Sheffield ; University of Tomsk), Dorothée Cambou (Helsinki Institute of Sustainability Science), Jérôme Chappellaz (CNRS), Chantal Claud (OVSQ), Jean-Louis Etienne (France), Jérôme Fort (CNRS/INEE), Emmanuèle Gautier (Université Paris 1), Semen Gabyshev (CEARC – UVSQ), Alena Gerasimova (International Centre for Reindeer Husbandry), Marie-Noëlle Houssais (CNRS-INSU), Fabienne Joliet (Agrocampus Angers Ouest/CNRS), Philippe Keckhut (LATMOS/OVSQ), Niklas Labba (éleveur de rennes), Kathy Law (LATMOS), Yvon Le Maho (Université de Strasbourg), Cyril Moulin (CNRS-INSU), Anders Oksal (International Centre for Reindeer Husbandry; Association of World Reindeer Herders), Jean-Daniel Paris (LSCE), Yvette Vaguet (Université de Rouen), Stéphanie Vermeersch (CNRS-INSHS) et Alena Yefimenko (Indigenous Secretariat of the Arctic Council).
Les partenaires : le CEARC, l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et l'OVSQ bien sûr, l’Institut français de Norvège dont je tiens à remercier Monsieur l’Ambassadeur Pierre-Mathieu Duhamel ainsi que Messieurs Jean-Michel Portefaix et Alain Mermet pour leur soutien, le CNRS dont 3 des instituts ont contribués, la Maison des Sciences de l’’Homme de l’Université Paris-Saclay, la Communauté d’Agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, le GDR Arctique, l’Ambassade du Canada, l’Université de l’Arctique ainsi que différents projets de recherche en Arctique, l’ADEME et le CNES.
Ségolène Royal a conclu la semaine, soulignant que les peuples autochtones nous donnent une leçon d'humilité, mais aussi d'espoir. Car les peuples autochtones sont les inventeurs du développement durable. Retenons cette belle leçon:
"Cessez d'adapter la nature à vous, mais adaptez-vous à la nature comme nous le faisons et comme nous l'ont transmis nos ancêtres".
De ces échanges passionnants, de futures collaborations et projets se profilent. Ségolène Royal a réuni fin décembre le comité de pilotage et les étudiants pour faire le bilan de l’Arctic Week 2019 et tracer les perspectives.
I) Sur les initiatives à prendre
- Organiser un rapport GIEC sur le changement climatique fait par les autochtones de l’Arctique, selon les observations locales et les systèmes de savoirs autochtones ou améliorer fortement la présence des savoirs autochtones dans le rapport GIEC.
- Organiser en France un système de bourse ou une bourse spéciale pour étudiants autochtones de l’Arctique ou encore un quota sur les bourses existantes pour les autochtones de l’Arctique.
- Soutenir la science durable, en renforçant les compétences locales dans les sociétés d'élevage de rennes.
- Soutenir des programmes de formation et d'éducation pour les jeunes éleveurs de rennes autochtones de l'Arctique dans les universités françaises, par exemple sur le modèle de Singapour.
- Soutenir une coopération renforcée entre les universités françaises et les institutions des peuples autochtones, par exemple dans le cadre de l'initiative Horizon Europe de l'UE.
- Soutenir un protocole d'éthique pour les chercheurs qui entrent dans les communautés d'élevage de rennes, basé sur l'expérience des peuples autochtones du Canada.
II) Sur la poursuite des travaux de l’Arctic Week
- Ségolène Royal a affirmé sa volonté de partager les connaissances polaires le plus largement possible. L’organisation d’évènements réguliers/intermédiaires, ainsi que de webinaires, est à l’étude.
- La participation des étudiants du programme Arctique de l’UVSQ a été soulignée comme un élément central de la conférence, et des pistes sont à l’étude pour renforcer leur implication, y compris via des possibilités de stage.
- L’ouverture à des milieux non-académiques, ainsi que l’organisation d’évènements culturels, a été soulignée.
- La nécessité de réaliser un résumé pour décideurs a également été pointée.
- Un résumé exhaustif des échanges sera produit en lien avec les étudiants du programme Arctique de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
L’occasion sera donnée à Ségolène Royal d’en partager plus amplement les détails lors de la conférence de l’Arctic Frontiers, à Tromsø (Norvège), à laquelle elle participera fin janvier.